Récits: Atlantis Ultima

Atlantis Ultima est un RPG online dans lequel j'ai fait évoluer mon personnage: "Frère Gruik" depuis 2006. La plupart de l'action ayant lieu sur des forums, j'ai regroupé ici quelques extraits de ses aventures.




Suivez les pérégrinations de Frère Gruik à travers les contrées hostiles de R'lyeh la Sombre...



Année 2070, début de l’ère Ultime: Après la chute d'un astéroïde sur terre, les gouvernements humains sombrent dans un chaos apocalyptique, d'incessantes catastrophes naturelles font remonter à la surface le continent perdu de l'Atlantide. Parallèlement, un agent mutagène contenu dans l'astéroïde CWH15230 fait évoluer les survivants: ainsi apparurent des Elfes, des Nains, des Orcs, des Géants, des Farfadets et autres Mystiques qui furent contraints par les non-mutants de s'exiler en Atlantide. Cent ans plus tard, les tentions raciales se sont apaisées et des états ont vus le jour sur l'Ile:

-R'lyeh la Sombre: dictature tyrannique dirigée par le Sombre Ordonnateur, ne jurant que pas les reliques technologiques de l'ancien monde.
-Atlantis la Verte: contrée de respect et de tolérance où un Conseil d'Anciens prônent comme lois les valeurs des différents dieux du panthéon.
-Mù la Blanche: parangon de justice, de savoir, et de connaissances, cette République Démocratique se repose sur sa maîtrise de la magie.

C'est dans ce marasme culturel qu'évolue Frère Gruik, un géant à la personnalité bipolaire: tantôt  cultivé et courtois, tantôt benêt et impulsif, tout juste capable d'essuyer le filet de bave formé par une de ses absences...



Île de l'Atlantide.









***


Une première Livraison

 

Comme à l'accoutumée en R'lyeh, la lune était cachée par les nuages toxiques dégagés par les usines de cette contrée hostile ,cependant ,une silhouette venue du fin fond des terres se rapprocha des ruines de l'ancienne citée, et se dirigea vers un pub délabré d'où sortaient des rires gras et autres grossières esclaffades. Il s'arrêta à proximité du pub, les néons rouges clignotants qui éclairaient son visage firent monter en lui une sensation d'excitation névrosée. 

D'un pas sûr, ses lourdes bottes ferrées foulèrent la poussière, rougie pas les lumières blafardes du pub. Son visage devint visible au fur et à mesure qu'il avançait, ses arcades et ses pommettes ossues se dessinait nettement et contrastait avec ses joues creusées et ses orbites profondes. A l'intérieur, un client l'aperçu et dit à son camarade: 

-"T'as vu le type là-bas? Il fume deux cigarettes." -"Ce ne sont pas des cigarettes, se sont ses yeux !" 

Notre homme entra dans le bâtiment, ses pas lourds raisonnaient sur le plancher et toute sa ferraille cliquetait. Seuls quelques clients le virent entrer, il ne fit pas grande impression "encore un de ses abrutit de géant comme il y en a tant" dirent ils...à voix basse. 

Le géant tinta plus qu'une bourse pleine tant il y eut de pièce de métal sur lui, son blouson en cuir noir usé était orné de diverses chaînettes et clous ainsi que son ceinturon où pendait, à gauche, un fusil à canon scié de l'âge historique. Les habitués étaient surpris par ses vêtements venus d'une autre époque et surtout par son impressionnante crête bleue fluo. Ce qui les intrigua par dessus tout fut que ce géant était plus élancé, plus fin que ses congénères. Seuls les plus hardis des clients osèrent le regarder et encore moins furent ceux qui purent remarquer l'étoile à huit branches qu'il portait à son coup, signe d'appartenance à Maclord. 

L'ambiance du pub était pour le moins malsaine: des groupes de nains complotait ensembles à une table écartée, près d'une bougie; des mystiques et des farfadets jouaient aux fléchettes, quelques humains s'exerçaient au tarot pirate et des bandes d'orcs chantaient en se tenant par les bras, se bousculant mutuellement, tous munis une pinte de bière à la main. Diverses communautés s'adonnaient à de multiples jeux de dés, de cartes et de jeux à boire tels que la chocholle, la crapette pirate et la roulette R'lyhenne. En plus des chants rauques et des grossièretés que tout le monde proférait à tout-va, une brume s'était formée dans le pub: différentes gens fumaient diverses substances, il y avait même un groupe de petits orcs avec une chicha posés dans un coin de la pièce. 

Le géant se dirigea vers celle qui semblait être la maîtresse de maison, une matrone orc aussi grosse que laide, il se pencha vers elle et malgré l'odeur, lui glissa quelques mots à l'oreille. Aussitôt elle lui indiquait du regard un nain assis seul au bout de la pièce, les deux pieds sur la table, fumant tranquillement une longue pipe. Sa barbe brune était creusée par de petits cratères les abords de leur sillage étaient roussis, comme brûlés. Lorsqu'il aperçut le géant se diriger vers lui, le nain pris une position convenable et l'invita à s'asseoir. Les jambes du géant s'allongèrent sous la petite table; visiblement mal assis, il ne cessait de gigoter dans sa petite chaise de bois. Le nain parla le premier avec son fort accent et sa manie de rouler les "r" : 

-"Wou ziêtes bien Frière Grouik?" 

Le géant acquiesça d'un signe de la tête, visiblement, le nain n'était pas très malin, offrir une opportunité de mentir sur son identité à un étranger n'était pas très fin, heureusement pour lui il avait devant lui le seul véritable Frère Gruik. 

-"La Guilde dié Marchands vous za riecommandé à moi, j'iespière qué wou sériez digne die vouotre mission. J'ai un piétit quielquié chose pour vous" chuchotas le nain tout en se rapprochant du convoyeur; il avait discrètement glissé une bourse près du géant.Frère Gruik ouvrit la bourse, et y trouva un collier en mithrill rehaussé de quelques pierreries. 

-"Jié vioudriais quié vous apportiez cieçi à mon oncle..hé..mais..quié faites-vous?!" 

En effet, le nain fut surpris de voir le géant se lever avant d'avoir reçu son ordre de mission. Frère Gruik dégaina son fusil à canon scié et le colla sous le nez du nain, terrorisé. Le silence se fit dans la salle, tous les yeux étaient rivés sur les deux protagonistes. 

-"Ma mission est accomplie" dit-il; puis, il appuya sur la gâchette. 

La déflagration raisonna dans toute la pièce tandis qu'un mur fut repeint par le sang du nain, les clients ne furent pas épargnés et nombreux furent ceux qui reçurent une éclaboussure. Le corps du nain fut violemment projeté au sol et brisa les planches vermoulues du parquet, laissant ainsi découvrir la réserve d'alcool de la patronne. Après un court silence un orc s'esclaffa en voyant son compagnon maculé de sang, ce dernier lui fit goûter une tarte au cinq doigts, ce qui déclenchât une bataille générale comme on les aime tant. Frère Gruik profita de la bagarre pour s'emparer d'un tonnelet de bière et sortit du pub en marchant, repoussant les téméraires qui osaient s'approcher de lui à coup de botte. Il vérifia le contenu de la bourse puis repris son chemin à travers la citée en ruine. 

Le nain n'eut pas et de chance car les convoyeurs n'obéissent qu'a leurs ordres de mission. Content d'avoir remplis son objectif, Frère Gruik but son tonnelet de bière en cheminait tranquillement dans la citée délabrée, regardant la lune à moitié cachée par les fumées nocives de cette contrée hostile...comme à l'accoutumée.




***



Plus dure sera la chute



Au Conseil Noir, Gruik usait de la rhétorique apprise de Diablo pour faire passer certaines de ces idées. Le fait de pouvoir agir au niveau national le transportait dans une mégalomanie addictive: Maclord était avec lui, tous les plans que le géant fomentait étaient emprunts d'un machiavélisme si prenant que ses rêves devenaient réalisable. Une dose d'adrénaline s'écoulait dans ses récepteurs sensoriels dès lors qu'il prenait la parole au Conseil Noir, décidément cette promotion et son intégration au temple de Maclord allaient encrer Gruik dans une paranoïa textuelle: chaque mot, chaque phrase, chaque élément de ponctuation et procédé stylistique étaient passés au peigne fin par l'esprit averti de l'ex-intendant de la GMR.

L'assurance que ses hommes lui procuraient et la confiance du Conseil Noir allaient être à l'origine de projets ambitieux émanant de la boite crânienne de Gruik. Perdu dans ses pensées, il marchait d'un pas déterminé, ses lourdes bottes soulevant des nuages de poussière. Le regard lointain, un inquiétant sourire découpait sa face blafarde d'un bout à l'autre de son visage. Assurément ce n'était pas là le Gruik fin d'esprit que tous connaissaient ni le Gruik stupide et bestial qui se manifestait parfois.

Ce géant là était plus angoissant, une aura perverse émanait de lui. Il était toujours plongé dans son mutisme comme depuis quelques temps déjà, un mutisme oppressant, on pouvait presque l'entendre penser:

*Parfait...le putsch psychologique à fonctionné comme prévu, Myyrdin était fort mais il était encore bien trop jeune. J'ai réussi à prendre son poste, maintenant il est à moi ! Enfin je détiens...*

"...le Pouvoir."

Ces mots sortirent de sa bouche à sa grande surprise. Gruik fit volte-face, persuadé d'être épié, il scruta les alentours...rien, puis il continua sa route, mais quelle route? c'est vrai ça...

"...qu'est-ce que je fous là moi?"


Un bref regard autour de lui l'informa qu'il était au nord de R'lyeh, dans le désert de cendres. Étrange, il ne se souvenait d'aucune livraison à cet endroit. Gruik alluma son communicateur AUSP: 6 messages non lus, 4 appels en absence,. pendant combien de temps avait-il erré dans le désert? Gruik avait quelques troubles de la mémoire depuis qu'il avait été nommé Intendant de la GMR, il oubliait des clients et lui arrivait même de confondre des commandes. Et le départ inattendu de Myyrdin n'allait pas l'aider, l'elfe semblait sur les nerfs avant son départ, comme sur le point de craquer. Gruik chassa ces sombres pensées et regarda son communicateur: non, aucun client dans les environs. Il décida alors de se diriger vers le sud, à la Grande Armurerie où l'attendaient ses amis lorsqu'il se rendit compte qu'il ne pouvait plus bouger les jambes.


"Qu'est-ce que ?!"


*Non pas à la Grande Armurerie, nous avons des choses à faire plus au nord* se dit-il.
...enfin, c'était bien sa voix oui. Sa voix dans ses pensées. Elle devint soudainement...caverneuse et lointaine, insaisissable et omnisciente, elle prenait vie comme les ombres au coucher du soleil. Cette voix se distordait, elle venait de partout à la fois et de chaque direction des paroles différentes et sans nombre étaient proférées à l'adresse de Gruik qui tentait vainement de boucher ses oreilles qui sifflaient, crissaient, bourdonnaient, l'assaut de son était insupportable !

"ASSEZ ! ASSEZ ! ASSEZ !"

L'immensité du désert fit écho à sa détresse. Un calme oppressant avait laissé place aux hallucinations sonores de Gruik. Il était seul, agenouillé dans la cendre, du sang coulait de ses tympans. Il se releva sans un bruit et repris sa route en direction du nord. Le regard dans le lointain, un sourire aux lèvres et le pas sûr, il s'enfonçait encore plus loin dans le désert. En s'éloignant, la poussière et les cendres soulevées par ses pas emportèrent un rire froid dans le vent, sa grande silhouette se brouilla puis disparu à l'horizon de la folie..


***






-Interlude: Maclord, ou les voix du Chaos-


Si les Mythes et légendes sont aussi craints et sacralisés c'est parce qu' ils évoquent des paroles datant du fond des âges, lorsque le langage détenait encore cette puissance sacrée que les mots n'ont que trop usés. Ce frémissement qui parcourt votre échine à la lecture de ces légendes n'est que l'infime partie d'énergie magique qui a su traverser le temps à travers le récit. La croyance donnant de la force au texte, il est déplorable que la genèse du début des temps soit tombé en telle désuétude. C'est pourtant le cas dans notre monde actuel où des faits antédiluviens sommeillent encore dans les recoins sombres des esprits du commun des mortels, n'attendant que le pouvoir de la foi pour se révéler aux rares élus.

Le caractère intemporel de ces légendes nous laisse bien perplexe et suspicieux à leurs égards, comment savoir si elles furent véridiques ? De telles choses ne se sont jamais reproduites de vie d'homme, nos dieux nous auraient-ils abandonnés?
Non. La foi des mortels, par contre, est faillible: en cessant de croire ils ont fait sombrer les dieux dans l'oubli. Aussi je vous demande de croire en ce récit qu'importe sa véracité, il n'est que l'une des nombreuses interprétations capables de faire renaître le plus antithétique et antédiluvien des dieux chaotiques: Maclord.

Toute chose à son commencement et sa fin, mais peu de choses trouvent leur naissance dans le néant et leur mort dans leur être.

Ainsi naquît Maclord: du néant abyssal et intemporel. 
Qu'est-ce que l'ennui? C’est quelque chose, assurément mais alors pourquoi ne fait-on rien lorsqu'on s'ennuie à part s'ennuyer? Cette structure cyclique de l'ennui couplée à la magie du hasard ont, il y a fort longtemps, créés une conscience au sein du néant....
Lors d'une unité de temps indéfinie (car non existante dans les limbes statiques d'on ne sait où…), le Néant s'ennuyait. Harassé d’une telle atonie, il décida d'inventer l’Éternité pour que le temps puisse être compté, ne serai-ce qu'une fois. Grace à sa puissance colossale il créa un grain de sable bleu représentant une unité de temps. Le Néant fut ravi et s'amusait à compter son grain de sable bleu inlassablement…Mais au bout de quelques temps, l'ennui le repris et il dû fabriquer d'autres grains de sables pour se divertir ; et au fur et à mesure de son ennui, des plages entières apparurent tant le pauvre Néant se languissait. Il étouffait, seul dans son lui-même; il avait besoin de se mouvoir, quelque chose le poussait à s’étendre. Il décida donc de se diviser en plusieurs morceaux qui seraient accessibles à travers le temps, et l'Espace fut créé.

Son ennui était désormais loin de lui et il ne pouvait le rattraper ni par le temps, ni par l'espace. Fou de joie, le Néant jeta les grains de sable dans l'espace et ceux-ci s'accrochèrent au vide. Les formes créées par ces amas de sable formèrent des étoiles et le Néant fut émerveillé devant sa création. Comment avait-il pu accomplir une telle prouesse? comment en était-il arrivé jusque là? lui qui n'était rien et n'avait rien demandé, lui qui n'était même pas une conscience, lui qui n'était pas tout court ! merde ! il venait d'inventer les questions existentielles !
"Que faire maintenant que je pense ? Je ? qu'est-ce que Je ? comment est-ce que j'arrive à formuler des questions ? qu'est-ce qu'une question ? Toute cette...cette...MATIÈRE émane de moi mais je ne suis rien du tout ! qu'est-ce que le rien? qu'est-ce que le tout ! suis-je le rien du tout ou le tout du rien ?"
Au fur et à mesure que des flux d'énergie se croisaient pour que le néant puisse penser, des idées, des concepts et des sentiments furent inventés; puis tout ceci dû prendre forme physique: une énergie sonique distordant le temps et l'espace sortit de nulle part, la musique, le langage furent créés.
Ces modulations soniques renfermaient les flux énergiques des pensées du Néant, qui, conscient d'avoir inventé une telle puissance tenta de faire le vide en lui...à peine perdu.
Ses interrogations incessantes et les puissantes énergies maintenant matérialisées qui traversaient son immense vide lui firent perdre la raison (qui datait seulement de 123 568 965 grains de sable).
Sa conscience se multiplia alors pour assouvir sa soif d'interrogations, il se vit penser lui même mais ces pensées n'étaient pas contrôlées, il vit ses autres consciences prendre des chemins aussi éloignés les uns des autres et tout ce mélange donna naissance à de multiples idées qui se matérialisèrent elles aussi de n'importe quelles façons: langages, concepts, religions, êtres vivants, minéraux, doppelgangers de zardoz....

Incapable de se contrôler, le Néant sombra dans la folie, déchiré entre plusieurs consciences aux affects aussi divers qu'antipodiques, la création du vice et de la perversion l'acheva, et créa une grave distorsion entre l'espace et le temps, la matière et l''antimatière, le tout et le rien.
Le Néant implosa de l'extérieur, et de cette mort naquis l'ultime question: qui suis-je?
Le Néant avait trouvé la réponse: MACLORD.



***





***


Un réveil difficile


Combien de temps Gruik avait-il passé à errer seul dans la plaine cendreuse? Il ne s'en souvenait plus...
Comment avait il fait pour survivre sans but dans ce désert hostile? Il n'en avait aucune idée...
Pourquoi son esprit s'était-il alors réveillé un beau jour, épuisé comme au lendemain d'une beuverie? C'est ce qu'il se demandait maintenant...


Sale et loqueteux, Gruik repris conscience sur un tas d'ordures qui tapissait une petite cavité naturelle, surement une ancienne décharge. Tout était confus pour lui et sa vision troublée par le soleil de midi ne l'aidait pas à trouver des repères. Sa tête et son corps entier lui faisaient mal, cette impression d'être à l'étroit dans son propre corps ne le quittait pas. Avant de se relever, il voulu prendre son crâne dans ses mains pour soulager sa peine, mais il stoppa son mouvement net.
De longs doigts décharnés terminaient des mains anormalement fines qu'un poignet squelettique fixait aux maigres brindilles qui lui servaient de bras...ses jambes élancés ne purent le tenir en équilibre face à l'émotion d'une telle surprise...

GRrruuiiiiiikkK!

Un cri porcin résonna dans sa chute tandis qu'une vive douleur lui perforait la tête, ses ongles jaunis rencontrèrent la chair de son crâne rasé lorsqu'il essaya de calmer la migraine. Alors, le chaos de son esprit morcelé lui laissa entrevoir des flashs flous de son passé...

Il vit un géant richement vêtu à la tête d'une puissante entreprise...des visages emplis de respect...et des montagnes d'or derrière lesquelles flottaient un drapeau représentant une pieuvre.....puis, de noires silhouettes encapuchonnées et assemblées autour d'une table solennelle écoutaient une femme...une femme mesquine et hautaine...cette femme le regarda de ses yeux lui confia une mission...et l'obscurité tomba.

Ironiquement, Gruik trouva réconfortant le fait de se réveiller une fois de plus sur son tas d'ordures...la nuit était tombée sur La Sombre, et la température commençait à baisser. Le froid vivifiant permis à Gruik de trouver la force de se lever. Il regarda une dernière fois ses mains qu'il ne reconnaissait pas, puis il commença à crapahuter parmi les déchets. Malgré son épuisement et son mal de tête, Gruik se sentit insufflé d'une nouvelle force. La nuit aiguisant ses sens, il observait les environs d'un œil nouveau, et rapidement, dans la quiétude nocturne, il se questionna sur ses visions: Quel était cette organisation à la pieuvre? Et cette noire assemblée? Quel rôle avait-il joué dans tout cela? Et qui était cette femme méprisante?

Dorénavant Gruik n'errait plus seul, car ses questionnements l'accompagnaient, et il s'était enfin trouvé un but: en trouver les réponses...



Gruik se gardait bien de se rapprocher des habitations qu'il apercevait au loin lors de son errance. Son instinct de survie lui faisait préférer la vie sauvage à la civilisation, lui qui ne comptait que sur lui même depuis longtemps.



***


Peine perdue, identité retrouvée



Gruik se gardait bien de se rapprocher des habitations qu'il apercevait au loin lors de son errance. Son instinct de survie lui faisait préférer la vie sauvage à la civilisation, lui qui ne comptait que sur lui même depuis longtemps.

Le climat de La Sombre est sans pitié: le Smog impénétrable dû aux exhalaisons toxiques émanant des sites industriels de R'lyeh ne permet qu'une très faible visibilité une fois la nuit venue, les rayons de la lune peinant à en percer l'opaque rideau de suie...des conditions idéales pour les nombreux prédateurs nocturnes peuplant cette contrée désolée.


Seul dans la plaine, la silhouette élancée d'un Mystique à crête bleue avançait à grandes enjambées, les épaules courbées par la fatigue. La faim le tenaillait, il ne se souvenait pas de son dernier repas, cela le fit rire. Gruik se mit alors en tête de chasser mais comment faire avec ce corps maigrelet?
Les choses avaient commencées à s'éclaircir dans son esprit: Il se souvint des coutumes et habitants de R'lyeh, du statut d'Intouchable jusqu'au vénéré Sombre Ordonnateur, il se souvint des lointaines contrées d'Atlantis et de Mù ainsi que de Soutair, et de la toute récente Ys qui restait à découvrir...
C'était comme s'il y avait déjà été, mais il ne pouvait en être sûr. Certaines zones de son esprit restaient encore obscures. Il essayait tant bien que mal de mémoriser la "vision" qui lui apparu quelques jours plus tôt: le Géant, c'était lui il le savait...quant à la riche entreprise, la noire assemblée et la femme la présidant...rien dans ses souvenirs ne pu lui donner d'indices sur leur signification.

Un cri lugubre stoppa court à ses pensées.

Gruik se retourna dans la direction du cri et découvrit une petite ombre tassée l'observer tranquillement au travers de perfides yeux jaunes. Le Mystique reconnu là un rat géant. De la taille d'un chien, la créature mutante aux traits déformés possédait de petites dents émoussées et rangées d'une manière chaotique; les restes de son pelage gras laissaient entrevoir une chaire rose et corrompue, sclérosée d'escarres et autres bubons lui remontant jusqu'à la joue glabre qui supportait le poids mort d'un œil aveugle. L'aspect répugnant de la créature aux abois déstabilisa Gruik, son corps chétif aux côtes apparentes lui rappelaient sa nouvelle morphologie...Mais la faim était plus puissante que la peur...le Mystique fit face à la bête et se prépara à l'assaut.

Le même cri lugubre se fit entendre à nouveau.

Mais ce n'était pas un cri ordinaire, il résonnait plus comme...un appel.
Se retournant une fois de plus, Gruik constata que deux autres créatures étaient apparues derrière lui. Le combat allait être inégal. Pris de panique, Gruik s'enfui si soudainement que les rats géants mirent un temps avant de lui donner la chasse. Les bêtes affamées ne tardèrent pas à rattraper le Mystique épuisé, mais celui-çi se réfugia en hauteur sur une épave rouillée.

Satanées bestioles! Foutez moi le camp! *Gruik ponctua ses mots en assénant un violent coup de pied à l'un de ses assaillant* Aaah! Si seulement j'était un Géant! J'vous boufferai la carotide, saloperies! AAAH! *Il fut pris d'un violent accès de douleur alors qu'une des créatures plantait ses crocs dans sa jambe*





GRrruuiiiiiikkK!


Submergé par ses émotions et convulsant comme un dément, Gruik poussa un cri porcin terrifiant: Un éclair d'énergie bleutée jaillit de sa bouche, et alla percuter de plein fouet le rat mutant encore accroché à sa jambe. La pauvre créature implosa dans une gerbe de sang alors que ses congénères, aveuglés par l'intensité de la déflagration, paniquèrent et battirent en retraite.
Une fois remis de ses émotions, Gruik, adossé à la vieille carcasse rouillée, se pencha pour régurgiter une sorte de fluide verdâtre...Son regard avait changé, il était plus sombre, plus impulsif, un profond abîme de haine pouvait s'y lire...il le posa sur les restes sanguinolents du rat et, obéissant à ses pulsions, se jeta dessus tant sa faim était bestiale.

Un timide rayon de lune réussi à percer l'épaisse couche de nuages, dans la clarté blafarde on pu distinguer une silhouette impie se repaître des restes encore chaud d'une charogne...Gruik s'était oublié, il avait oublié son lui...son Autre Lui.



***




Indices du Passé



Quelques jours plus tard, la silhouette du Mystique (emmitouflée dans une peau de rat mutant) arpentait les ruines d’un ancien centre industriel de R’lyeh. Le soleil était à son zénith et ses rayons brûlants dévoraient sa peau pâle; l’ombre des bâtiments en décrépitude constituerait un abri de choix pour lui.

Progressant à l’abri du soleil à travers les restes calcinés de ce qui avait été autrefois une grande cheminée de briques rouges, Gruik  repéra un coin frais à l’abri d’un pan de mur pas tout à fait écroulé, une maigre flaque d’eau brunâtre stagnait non loin. Il décida de s’asseoir parmi les décombres pour se reposer. Son crâne était brûlant alors qu’il se passa une main sur la tête, ses cheveux (dont la teinture bleue avait miraculeusement résisté à son hygiène de vie) étaient secs comme de la paille, brûlés par ses longues marches à travers le désert.
Il tendit son bras pour atteindre la flaque de liquide et rafraîchis son crâne en puisant de l'eau avec sa main. La sensation de fraîcheur lui procurait un réel plaisir, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas ressenti cette sensation. Motivé par cette vigueur nouvelle, Gruik se pencha au-dessus de la flaque et y plongea ses mains pour se laver le visage, la sensation était divine assurément. C’est alors qu’il vit son reflet.  Mais était-ce bien lui? Il eut du mal à se reconnaître : son cou de taureau avait perdu de son épaisseur, sa mâchoire carrée d’autrefois avait laissé place à un menton plus fluet mais tout aussi anguleux,  la bonhomie de ses traits s’était mue en un masque de rides creusant son visage émacié…

Était-ce les ondulations de l’eau qui déformaient à ce point son reflet ? Non il le savait bien, par quelle magie avait-il pu changer de mutation, lui qui jadis était un robuste Géant ? Ce mystère là il n’avait toujours pas réussi à le résoudre... Alors qu’il contemplait son reflet, l’eau de la flaque redevint limpide et il aperçut en dessous de la surface, à moitié enfouie sous la boue, un bout d’étoffe décolorée qui lui sembla familière. Il la sortit de la vase…et en reconnu le motif. Un pic de douleur transperça son crâne.

*Isham Azzari, la commande du Conseil Noir, "Il" compte sur toi, les bateaux…une île toute proche…à portée de main…encore la femme perfide, sa voix, "La" voix, son décolleté, une vraie pute, KITLEY ! …puis des adieux, un voyage, et enfin, la Pierre !*

Une fois de plus, Gruik se réveilla à terre, humectant de bave. Il se releva doucement et massa ses tempes douloureuses. Puis tout lui revint à l’esprit : il était Frère Gruik, Grand Intendant de la GMR et Noir Conseiller, respecté de ses pairs et de ses clients, il avait travaillé dur pour se hisser aussi haut, il avait travaillé dur en "Son Nom"; et il avait chût, ou plutôt, on l’avait fait choir…Il avait désormais des coupables, des noms, UN nom. Cette Kitley, cette ordure, cette garce, c’est à cause d’elle qu’il en était arrivé là!
Remettant ses idées en place, un plan naquît des tréfonds de son esprit mal tordu…Il allait trouver cette Kitley, et lui faire payer sa chute…mais pour cela Gruik allait devoir retrouver la civilisation.


Le Mystique ramassa le morceau d’étoffe, le décrotta et le contempla. Le pourpre et le vermillon avaient perdus de leur superbe, mais on distinguait encore clairement l’emblème de la GMR : une pieuvre aux multiples tentacules. La vue de ce blason raviva la flamme dans son regard sombre, Gruik se mit en chemin. Solitaire comme toujours, il se dirigea vers les noirs nuages au lointain qui annonçaient la pollution et le marasme bouillonnant d’une cité ruche : il avait besoin de renseignements, et allait devoir se trouver un AUSP.





***






 Réacclimatation


Gruik se réadapta vite à la civilisation. Bien que ses souvenirs fussent encore incomplets, il en recolla les morceaux épars en explorant divers endroits des faubourgs de la ruche presque à l'abandon -parodie de bidonville- dans laquelle il avait atterrit. Il se dirigea vers la forme familière d'une taverne.





Le bouge dans lequel il décuvait était -ironie du sort- le tout premier lieu où il se fit connaître en R'lyeh. Le nez dans une demie pinte de bière brune qu'il ne pu se résoudre à finir, Gruik observait les alentours: l'endroit était devenu lugubre et presque dépeuplé, le patron avait changé, et il ne reconnaissait personne dans la clientèle; Gruik allait piquer du nez quand un Géant entra dans le bar et alla s'installer au comptoir. Un sursaut d'espoir raviva l'attention du Mystique, mais il s'estompa aussitôt. Les réminiscences de sa vie passé recommençaient à le hanter et Gruik se laissa aller à la mélancolie: le Géant lui rappelait son ami Goliath, c'était à cette place même qu'ils s'étaient rencontrés des années auparavant. Attablé non loin, un Elfe au regard retors lui rappela Myyrdin Gwesped, son ancien employeur et ami; et à proximité, Gruik cru voir sur le visage d'un Morgorien les traits de Zhorr, un vieil ami...Ainsi, des visages du passé défilèrent devant lui: Brokk, Bragon, VonBashKern, Pallanadaum, Sylvanas de Goncourt, Vadren, Antoine de Lioncourt...et d'autres dont il n'arrivait pas à se souvenir du nom.
C'est dans la lourde et moite chaleur de la taverne à la morne ambiance que Gruik commença à somnoler doucement, pour enfin s'endormir contre sa choppe à moitié pleine...La dernière chose qu'il vit fut Goliath, son vieil ami Goliath, se lever de son tabouret pour venir vers lui et lui demander quelque chose d’incompréhensible...


En se réveillant difficilement le lendemain matin, Gruik apprit à ses dépends que son nouveau corps ne pouvait pas supporter les énormes quantités de bière que le Géant qu'il fut avait l'habitude d'avaler...Il se remémora aussi que les ruches de R'lyeh n'abritaient pas que des âmes amicales. Son crâne le faisait souffrir énormément, comme si la cloche d'une église avait résonné trop près de lui. Sa mâchoire elle aussi était en piteux état: sèche et douloureuse, Gruik ne la sentait presque plus, il avait l'impression que sa langue avait doublé de volume...

Le tas d'ordures sur lequel il s'éveilla dégageait une odeur de pourri qui lui donnait la nausée. Il ne se souvenait plus comment il était arrivé là. Peut-être que des êtres mal intentionnés l'avaient laissé ici après qu'ils eussent tenté de lui dérober ses biens...seulement ils avaient du être déçus en découvrant que les seuls possessions du mystique était un manteau en peau de rat mutant et un vieux bout d'étoffe représentant le drapeau de la GMR...ou bien peut-être était-ce la bière qui l'avait mené jusqu’ici pour se reposer et décuver?

"Décidément, c'est une habitude..." Essaya t-il d'articuler pour lui même tout en se frottant les yeux. Un début de sourire perça sur ses lèvres: la vie décadente de la ville et son lot de surprises lui avait manqué.

Gruik se leva du tas d'ordures et quitta la ruelle en titubant maladroitement pour rejoindre une artère centrale menant au centre ville.




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 Un Nouvel Ordre



Quelques temps passèrent. Gruik s'était vu remettre un AUSP par le Bureau de Conformité. Il repris ainsi goût à la civilisation et ses subtilités, et retrouva ses pleines facultés oratoires: son amour du verbe lui revint très naturellement, comme s'il ne l'avait jamais quitté, à la manière d'un vieil ami que l'ont retrouve après des années d'absence.

De gros changements avaient cependant remodelés R'lyeh. Il apprit que le régime du Sombre Ordonnateur avait été renversé par une révolution instiguée par des Intouchables -ce statut, et celui d'Affranchi n'existaient d'ailleurs plus- et que la plupart des institutions de La Sombre avaient ainsi périclité : La Police Politique, les Ombres Silencieuses, les Mages de l'Ombre ainsi que la Sombre Armée avaient payé cher le prix de la révolution, leurs membres ayant pour la grande majorité étés tués dans les combats ou jugés puis exécutés à la fin de la révolte. La GMR elle aussi n'avait pas survécu à ces troubles, l'organisme qui lui succéda n'étant plus que l'ombre de ce quelle fut jadis...

Gruik fut fort troublé par ce nouvel ordre des choses, lui qui avait le souvenir d'une R'lyeh forte et unie sous l'égide du Sombre Ordonnateur, mue par des fréquences bourdonnantes de ferveur envers Lui,et empreintes d'une dévotion sans faille envers l'ordre établit ainsi que toute notion d'Unité et de Progrès...
Le Mystique mit tant bien que mal de côté les sentiments parasites qui l'assaillaient à l'annonce de tant de changements...Car parmi toutes ces nouveautés, une information avait attiré son attention, une information que même la douleur de la chute d'un Guide, que même le déchirement de la perte d'une nation autrefois puissante ne pouvaient étouffer: Kitley était en vie. Et non seulement elle était en vie, mais il s'avéra que ce fut elle qui pris la place du Sombre Ordonnateur lorsque mourut, mentant ainsi éhontément au peuple de La Sombre tout entier...


GRrruuiiiiiikkK!


S'en était trop, Gruik ne pu retenir un cri porcin à l'annonce de telles nouvelles. Une rage incommensurable emplis tous ses sens alors qu'il s'enfuit à travers la foule compact du Bureau de Conformité, provocant bousculades et quolibets à son passage. La rage de n'avoir pu défendre son Guide alors qu'il siégeait au Conseil Noir, la rage de s'être fait berné comme tant d'autres par cette pute immonde, la rage de n'avoir rien pu faire pour sauver la grandeur perdue de R'lyeh...Toute cette rage le consumait de l'intérieur tandis qu'il courrait de toutes ses forces comme pour lui échapper...en vain.
Au paroxysme de sa colère et à bout de souffle, Gruik s'arrêta au milieu d'une place bondée de monde. Les badauds n'attardèrent pas leur regard sur cette créature frêle et fauve qui haletait à genoux comme un animal blessé. Ils lui auraient prêté plus d'attention s'ils avaient alors su ce qu'il adviendrait ensuite...Le Mystique laissa libre court à sa rage, et alors qu'il invectivait les dieux du Pentacle le poing tendu vers le ciel, des larmes de sang lui coulèrent le long du visage; et dans un puissant cri porcin une énergie magique verte se libéra en onde depuis ses orbites creuses. La foule s'embrasa.




Des flammes vertes de rage pure consumèrent chairs et tissus, os et enfants, dans une nova incandescente de haine hurlante. Les cris de panique et l'agonie des mourants résonnèrent dans tout le quartier tandis que Gruik souriait en sachant ne pas être le seul à souffrir: il avait tant de haine à partager...
Après cet instant d'abandon il revint à lui, quelques flammèches incandescentes brûlaient encore les restes de corps à moitiés carbonisés...Gruik se releva et observa autour de lui la place noircie par ses sentiments...et bien qu'il n'éprouva aucune compassion envers les victimes, il su qu'il devrait tôt ou tard apprendre à maîtriser ses nouveaux pouvoirs s'il voulait survivre assez longtemps pour exercer sa vengeance.

C'est alors qu'il se mit en quête de savoir.



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 De Feu et de Glace






La neige envahissait tout son champ de vision alors que le jour commençait à tomber. Des bourrasques éparses lui fouettaient le visage, tandis que le hurlement du vent lui déchirait les tympans: cet enfer blanc n'en finissait plus. Depuis qu'il avait passé le col au nord d'Atlantis le climat de Mù ne l'avait pas épargné. A travers la tempête, il devinait que l'escarpement rocheux qu'il arpentait depuis des heures commençait à céder sa place à des plaines enneigées et rocailleuses parsemées ça et là de denses forêts de pins sombres. Il entendit alors un hurlement lugubre camouflé par le vent, si bien qu'il pensa que son imagination lui jouait des tours...Après tout, il n'était pas du tout préparé à ce climat: son maigre manteau en peau de rat mutant ne le protégeait guère des températures extrêmes, et il ne serait pas étonné si un prédateur arctique le prit par surprise tant ses réflexes étaient engourdis par le froid.

C'est alors qu'il se rendît compte de la présence d'une ombre dans les bois...une masse dense et tassée se dessinait à la périphérie de son champ de vision. Gruik fit un pas en arrière dans la neige qui lui arrivait jusqu'au genoux tout en dégainant un court poignard qu'il tint en garde devant lui, le bras tremblant plus par le froid que par la peur...
Une vieille cabane en bois lui faisait face.
L'édifice -plutôt imposant pour une cabane- se distinguait à peine à la lisière de la forêt. Ses planches de bois sombre et la neige qui la recouvrait la rendait presque invisible dans son environnement neigeux. Remis de ses émotions, Gruik entreprît de s'abriter à l'intérieur, et peinât difficilement à enjamber les congères qui menaient jusqu'à l'entrée. A sa grande surprise, une faible lumière blafarde filtrait à travers les carreaux verglacés des petites fenêtres obscures au fur et à mesure qu'il se rapprochait de la lourde porte en pin noir. Gruik en attrapât le tenant en fer et poussa.





La quiétude qui régnait sur ce lieu le désorientât quelque peu: l'édifice était étrangement insonorisé, si bien que le hurlement étourdissant du vent s'était tut au moment même où il referma la lourde porte derrière lui. Ce soudain silence en était presque oppressant. Une fois son oreille habituée, le Mystique perçu un petit gargouillement constant, comme si un pot avait été laissé sur le feu. Rassuré par la chaleur ambiante émanant d'un âtre mourant, il se dirigeât vers la cheminée pour se réchauffer en s'autorisant une rapide inspection de la pièce.
La faible lueur lui permettait de distinguer dans la pénombre un large fauteuil de velours rouge, ainsi qu'une grande et imposante table massive qui prenait un bon coin de la longue pièce rectangulaire. Un capharnaüm de fioles et de décoctions y était entassé de manière éparse, sans ordre apparent. C'est là, à la froide chaleur de flammes bleues, que tout un attirail de récipients en verre chauffait doucement, laissant par moments échapper une vapeur âcre et épicée depuis des embouts transparents, ponctuant de cette manière le doux ronronnement des potions chauffées au becs bunsens.

-"Eh bien! On ne dis pas bonjour, on frappe sans entrer? Qu'est-ce que c'est que ces manières Huumm?" Dit une voix haut perchée depuis le fauteuil de velours rouge.

Gruik ne l'avait pas vu venir...Une longue et maigre silhouette voûtée se tenait accroupie sur le fauteuil en le regardant: sa tête penchée sur le coté, un jeune homme l'observait, l'expression mi-surprise, mi-amusée. L'adolescent semblait ne pas tenir en place, comme un chiot trop curieux; ses vêtements trop courts pour lui affinaient encore plus ses longs membres filiformes ce qui lui donnait un  aspect puérile. Cependant un éclair de malice brillait au fond de ses pupilles. Comment Gruik avait-il pu ne pas le remarquer en entrant dans la pièce?

-"Baaah? On a perdu sa langue? C'est l'froid qui t'fait serrer les dents? Attends un peu j'vai t'arranger ça!"

En un claquement de doigt, le jeune Mystique fit soudainement s'attiser le foyer de la cheminée: de longues flammes vinrent lécher le dos de Gruik qui sursauta. "De la Magie! Voilà comment ce petit malandrin réussi à échapper à ma vigilance." se dit-il. Gruik se ressaisit rapidement et rassembla ses pensées: le gamin le troublait, et il n'était pas sûr de ses intentions...peut-être était-ce la personne dont on lui avait tant parlé, la raison de sa venue sur ces terres hostiles...

-"Pardon, je...la tempête m'a pris par surprise, je ne voulais pas vous déranger...Je me nomme Gruik, je viens de R'lyeh. Une de mes connaissances m'a dit que je pourrais trouver ce que je cherche sur les terres de La Blanche, peut-être la connaissez-vous...elle se nomme Emma." Lança t-il, plutôt décontenancé par l'attitude nonchalante de son interlocuteur, et à la formidable énergie magique qui émanait de lui.

-"Emmaaa! Mais oui! L'Ambassadrice m'a parlé de toi et t'a fortement recommandé, à ce qu'il paraît tu recherches quelqu'un capable de t'apprendre à contrôler tes pouvoirs? Tu cherches un Maître en magie?! Eh bien ne cherches plus car tu m'as trouvé: je suis ton homme! Hayato, enchanté!" Puis le Mystique à l'allure arachnéenne lui tendit une main maigrelette en souriant.





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 De retour dans les Hautes Sphères




Une fois de plus, Gruik avait atteint les hautes sphères du pouvoir en R'lyeh, et une fois de plus, son prédécesseur avait subitement quitté ses fonctions.

Hasard ou coïncidence? Gruik était plutôt d'avis que ce fut la destinée qui lui déblayait le passage. L'Ambassadrice Emma (avec qui il avait pris contact quelques temps auparavant) était une femme dure et froide malgré son apparente jeunesse. Et bien qu'elle paraissait entièrement dévouée à R'lyeh, elle ne pouvait cacher sur son visage un ressentiment de lassitude envers son oligarchie somnolente. En effet, la torpeur dans laquelle était tombée le gouvernement de La Sombre depuis la révolution, ainsi que les efforts vains et non reconnus de l'Ambassadrice à essayer de faire garder la tête hors de l'eau à toute une nation, avaient eut raison de sa volonté. En somme, Emma avait eut le tord de trop en faire pour un pays qui ne rendait pas honneur à ses efforts...et elle n'avait qu'une hâte: quitter son poste au plus vite.

La passation de pouvoir se fit donc rapidement: Emma vit en Gruik un successeur potentiel de part son verbe et sa ferveur de nouvel arrivant; face à lui Isobel, une Sentinelle ambitieuse, lui disputait le poste: son ancienneté, ses formes, et son amour pour le Peuple lui donnaient une certaine légitimité. Hélas pour elle, Gruik joua la carte de l'expérience: Ancien Intendant puis Grand Intendant de la GMR et ancien Noir Conseiller...L'Humaine ne put lutter face à un tel CV. Sa réputation de dévergondée et son caractère prompt à l'emportement achevèrent de convaincre les Sénateurs d'élire le Mystique au poste d'Ambassadeur...encore une fois la destinée avait joué en sa faveur. Après tout, certains auraient pu dénoncer la disparition de Gruik 6 ans plus tôt comme étant une désertion...Certains auraient pu argumenter que sa filiation avec l'ancien régime n'était pas compatible avec les valeurs de la Nouvelle République...mais personne n'avança de tels propos, et Gruik fut élu à l'unanimité.

Coup de chance ou coup de poker? Le Mystique avait en effet pris ses précautions en faisant profil bas pour ne pas trop ébruiter son passé jusqu'au jour du vote -histoire de prendre les députés par surprise- bien que certains Sénateurs tels qu'Angélus l'avait bien connu du temps du Sombre Ordonnateur...Mais ce détail mis à part, il comptait effectivement sur la nonchalance de l'Assemblée et sur le climat de torpeur qui régnait au gouvernement pour viser un poste de première importance qui allait lui permettre d'atteindre ses propres objectifs, là où l'ancienne Ambassadrice avait usé son corps et son âme toute entière pour la cause commune. C'est donc avec une joie non dissimulée qu'il pris place dans ses appartements somptueux aux aspects exotiques; la grande table en bois précieux de son bureau et le raffinement de la décoration lui donnèrent cette impression familière d'être quelqu'un d'important.

Une fois de plus, les rennes du pouvoir étaient entre ses mains, et une fois de plus, les dieux étaient avec lui.